Sylphide à bicyclette

Vol de Nuit

Résumé de l'épisode précédent Tali Talasea, Isaac-Isabeau et Bulle, trois facteurices expérimenté·es, viennent d'arriver dans les Cinq Soleils, une île dans le ciel isolée à cinq mille années-lumière de la Terre.

Eau-de-Pluie murmurait tout autour du silo D24. Le Courrier Sept reposait dans son bercail, dissipateurs thermiques déployés pour permettre aux drones-jinns d’en nettoyer les cellules radiatives, et antennes repliées. Bulle venait de terminer son heure de maintenance et restait oisive dans son cylindre rempli de sève transparente, dont Isaac-Isabeau, à sa demande, avait ajusté les lampes à sodium de manière à lui fournir un éclairage artificiel permanent et déconnecté du cycle jour-nuit du Courrier Sept.

Cinq ans auparavant, lors de leur première rencontre sur Smyrnia-Silesia, Isaac-Isabeau avait de prime abord été époustouflé par la complexité de Bulle, par cette délicate collection de lichens pensants et de feuilles rêveuses qui constituait la forêt de son intériorité. Désormais, c’était la simplicité de l’intelligence artificielle qui lui sautait aux yeux. Bulle composait une jungle repliée sur elle-même un millier de fois, et pourtant, la sophistication de son labyrinthe végétal n’était rien en comparaison de celle d’un cerveau humain. Bulle était tout aussi intelligente que Tali, mais occupait un substrat que l’esprit d’une souris aurait jugé trop étriqué pour y former des pensées élaborées ; la clef de cet apparent paradoxe, avait fini par comprendre Isaac-Isabeau, se trouvait dans le fait que Bulle ne traitait pas le monde à la manière d’un animal. Ses mots, ses intuitions et ses déductions étaient humains, oui, mais ils n’émergeaient pas du même processus que les espoirs et les anxiétés d’Isaac-Isabeau. Bulle avait plus en commun avec l’intelligence distribuée d’une colonie d’amibes qu’avec la sapience centralisée d’un primate. Bulle pensait en simultané ; une puissance de calcul colossale résidait ainsi dans l’apparent dénuement de sa structure, et, les jours de relâche, elle l’employait principalement pour jouer aux dames avec ses drones de maintenance. Elle perdait souvent. Les bêtes étaient retorses. Isaac-Isabeau prenait toujours garde de ne rien parier avec elles.

Iel tapota le conteneur. La forêt bruissa et l’avatar aviaire apparut sur un morceau de carton collé à une lampe défectueuse.

« Hé. Tout va bien, là-dedans ?

— Plutôt. Je crois que j’apprécie la simplicité du Courrier Sept, en fin de compte. Dis-moi, pilote. J’étais en train de faire les comptes et d’organiser les commodités. Artémis nous permet de ravitailler le Courrier Sept en eau, en électricité et en masse de réaction directement depuis le silo, donc pas de souci à se faire de ce côté-là. La commune des Cinq Soleils prend en charge notre salaire à vie au même échelon que dans le système solaire, et Tali a déjà fait transférer son allocation depuis les Pléiades. Dans le Courrier Sept, nous avons une machine à laver, la douche, le rangement, la radio, le télex et des toilettes en parfait état de fonctionnement, une fois n’est pas coutume pour un vaisseau de poste. Reste la question du logement. Moi, je m’en fiche, mais j’imagine que ni toi, ni Tali n’aviez envie de passer toutes vos nuits dans le Courrier Sept, donc j’ai sollicité la Maîtresse de Poste, qui a demandé à l’ordinateur de planification. Eau-de-Pluie dispose de deux logements de fonction pour ses postiers, le premier au pôle, le deuxième près de l’équateur. Nos prédécesseurs préféraient la zone polaire.

— Si Tali n’a pas d’objection, la gravité à l’équateur me va mieux.

— C’est noté, je vais remplir le bordereau pour la Maîtresse de Poste. Maintenant, dis-moi, est-ce que tu pourrais essuyer le dessus de mon conteneur ? Il y a de la condensation, et ça me chatouille. »


L’air était sec autour de la proue du Courrier Sept. Artémis se tenait penchée par-dessus la rambarde de la grue lui servant d’atelier mobile ; une nuée de drones-jinns l’entourait comme des poissons-pilotes cherchant la compagnie de leur requin. Les diligents serviteurs venaient de démonter la plaque d’accès au propulseur de manœuvre qui avait fait défaut sur Al-Baida, et ses composants internes reposaient sur la surface magnétique de la grue. Tali les considérait avec circonspection. Les propulseurs de manœuvre représentaient la partie la plus archaïque d’un vaisseau comme le Courrier Sept : des tuyères alimentées à l’azote liquide, ils n’auraient pas déparé sur une capsule du premier âge spatial, bien qu’ils aient grandi jusqu’à atteindre la taille d’un moteur-fusée.

« Alors ? demanda Tali. Quel est le diagnostic ?

— Difficile à dire de prime abord, répondit Artémis, dont les lunettes affichaient des diagrammes techniques en surimpression, comme une ribambelle de guirlandes miniatures. J’ai l’impression que l’antigel a cessé de circuler dans le propulseur, ce qui a conduit la pompe principale à se gripper, mais je ne vois aucun défaut dans le circuit d’admission. Ou alors vous avez accumulé trop de glace en passant à travers les nuages, ce qui a bouché les orifices de dispersion de l’antigel. Dans les deux cas, vous avez eu de la chance que le propulseur ne se coince pas définitivement. Le Courrier Sept deviendrait vite incontrôlable avec un réacteur en moins et un vent de travers.

— C’est ainsi que se sont crashés nos prédécesseurs ?

— Je ne peux pas le confirmer, l’épave du Courrier Cinq est inexploitable. Elle est perchée à la limite de la stratosphère, sur un glacier hostile, et de toute manière l’impact a eu lieu à une vitesse hypersonique. Je doute qu’il reste des débris utilisables, et l’impact a annihilé la boîte noire. Je travaille encore sur le mystère. Mais une perte de trajectoire suite à une panne mécanique fait partie de mes suppositions, en effet, encore que dans leur cas, c’est plutôt le moteur principal qui a lâché.

— Ils n’ont pas allumé leur fusée ?

— Non. Aucune décélération propulsive. Après l’accident du Courrier Cinq, j’ai intégralement démonté nos deux autres vaisseaux de poste en service, le Courrier Neuf et votre Courrier Sept, et je n’ai trouvé aucun défaut visible sur le moteur Lazward comme sur la fusée atmosphérique. Ils sont neufs. Quant aux propulseurs de manœuvre, encore une fois, je ne parviens pas vraiment à déterminer ce qui vous est arrivé, mais je vais remplacer celui-là. Je préfère en avoir le cœur net.

— L’échange va vous prendre une éternité.

— Non, avec les djinns, c’est l’affaire d’une petite demi-journée.

— C’est déjà beaucoup.

— Je n’ai rien d’autre à faire, mes filles sont avec l’imame, et je ne peux pas laisser un réacteur potentiellement défectueux dans le Courrier Sept, c’est tout. » Artémis cligna des yeux pour éteindre ses lunettes et siffla en direction d’un jinn pour qu’il vienne collecter les morceaux du propulseur. « Vous allez bien ?

— Je ne devrais pas ?

— J’espère juste que cet incident ne vous a pas trop secoué. Si jamais vous n’étiez pas parvenus à dégager la glace dans la tuyère, l’atterrissage aurait été bien plus mouvementé.

— J’ai connu bien pire.

— Vous êtes un peu bravache. Je ne suis pas sûre d’apprécier. Vos prédécesseurs tenaient le même discours, et regardez où ils ont fini…

— Cela n’a rien à voir. » Tali soupira. « Je suis Pléiadienne.

— J’ai remarqué la couleur de votre peau, oui.

— Mes mères m’ont élevée pour que je devienne une parfaite représentante de mon peuple. J’ai appris à maîtriser mes émotions, à me faire sereine, parce qu’une fille bleue d’outre-espace se doit d’être douce, aimable et avec un esprit bien fait. Sinon, quel est l’intérêt de toute cette grâce et cette beauté dont nous nous entourons dans les Pléiades ? Depuis notre piédestal, nous regardons le reste de l’espace humain avec calme et béatitude, et nous devons prendre bien garde à ne pas briser cette illusion. Mais de temps à autre, l’une des nôtres en a assez, et s’égaye dans le cosmos pour y trouver de quoi agrémenter la pièce de théâtre. Je ne suis pas bravache, Artémis. Je cherche juste à tromper l’ennui inhérent à ma naissance.

— Hé bien moi, j’ai du mal à voir une différence. Enfin. Tant que vous ne rejoignez pas le Courrier Cinq dans sa tombe, je n’ai rien à dire des mœurs de nos postières. Je vous préviens quand j’en ai fini avec le propulseur de manœuvre. »


Quand Tali descendit du silo pour aller prendre l’air dans les jardins d’Eau-de-Pluie, la Maîtresse de Poste l’intercepta ; une tasse de thé vide à la main, cette dernière semblait être à peine sortie de son bureau, qui pourtant se trouvait à plus d’un quart d’heure de tramway. Tali soupçonna une coursive de maintenance et le concours d’un drone logistique.

« Talasea! Vous auriez une minute ? J’ai besoin du Courrier Sept.

— C’est pour une livraison ? Notre tournée ne commence que la semaine prochaine.

— L’inverse, justement. J’ai un drone transstellaire en approche depuis le plan médian de la Voie lactée, nom de code Vol de Nuit. Il transporte des lettres venues de l’espace humain, et amorcera bientôt sa dernière translation vers les Cinq Soleils, son point de réintégration est une étoile à neutrons qu’on utilise comme balise, à six années-lumière. J’ai déjà eu affaire au Vol de Nuit, c’est un grand oiseau bête et fragile, et je serais rassurée si vous pouviez l’intercepter sur place pour vous assurer que tout va bien et l’accompagner vers Eau-de-Pluie.

— Artémis remplace un propulseur, elle en a pour l’après-midi.

— Très bien. Vous pourrez décoller dans la soirée, vous serez là-bas pile à temps. Je vous passe les coordonnées de l’étoile à neutrons. On l’appelle le Phare. »


Désintégration.
Pour un battement de cœur, Isaac-Isabeau aperçoit la couleur délavée d’un monde sans soleil ; puis une supernova s’empare de ses pupilles et l’odeur de la terre noire des plaines d’Ukraine emplit le cockpit. Iel se demande comment Tali la perçoit, elle qui ignore tout de l’Ukraine et de son sol.
Réintégration.


Aux confins de l'espace étriqué des Cinq Soleils se trouvait le mausolée d'une géante bleue, visible à des milliers d'années-lumière...

Un concept art montrant une étoile à neutrons, avec deux planètes désertes.


Le Courrier Sept réintégra l'espace réel dans un afflux de lumière bleue.

Même à plus de dix millions de kilomètres, le Phare transperçait l’espace : si l’étoile à neutrons issue de l’anéantissement d’une géante bleue n’était plus qu’une sphère incroyablement dense, de la taille de la Terre, sa radiance blanche saturait les filtres du cockpit jusqu’à donner à l’astre une taille perçue démesurée. Une planète unique orbitait autour du Phare, bien loin du disque de débris qui marquait l’emplacement du système arasé par la mort de son astre d’origine. L’assaut des rayons X et gamma expulsés à chaque instant par l’étoile à neutrons agressait les détecteurs du Courrier Sept à un tel point que la nature de la pauvre survivante en restait indéfinissable, et le guide des Cinq Soleils ne lui avait d’ailleurs pas donné de nom. Isaac-Isabeau alluma brièvement la radio. Un mur sonore qui lui évoqua le cri d’agonie d’un animal blessé la saturait sur toutes les fréquences. À l’instar de beaucoup de ses semblables, le Phare émettait deux puissants jets d’ondes radio depuis ses pôles ; les oscillations de ces cônes invisibles formaient un signal régulier, visible à plusieurs centaines d’années-lumière à la ronde. C’était cette pulsation qui avait permis au Vol de Nuit de caler ses translations lors de sa montée depuis le plan de la Voie lactée, et qui lui fournissait une cible parfaite pour son avant-dernier saut. Isaac-Isabeau tamisa prudemment les fenêtres de réalité augmentée et se pencha vers Tali.

« Le Vol de Nuit devrait déjà être ici, non ?

— D’après son plan de vol, il a effectué sa réintégration il y a une demi-heure, de notre côté de l’étoile, nous devrions apercevoir sa balise d’ici peu.

— J’ai rien aux instruments. C’est quoi comme balise ? Parce qu’avec un tel bombardement radio, les ondes courtes sont illisibles.

— Un vieux stroboscope en lumière visible, d’après la notice du Vol de Nuit. Ces machins ont une fâcheuse tendance à casser dès qu’on les regarde de travers, alors, après six mois en espace profond, je ne donne pas cher de leur peau. Bulle, est-ce que tu pourrais sonder l’espace autour de nous dans le spectre ultraviolet, visible et infrarouge ?

— A vos ordres, pacha. »

Isaac-Isabeau découvrit le cacheton du télescope de proue et fit lentement pivoter le Courrier Sept sur lui-même pour permettre à Bulle de se muer en guetteuse attentive. Il lui fallut une rotation complète pour retrouver le Vol de Nuit.

« Contact, contact. Je n’aime pas ce que je vois. »

Bulle mit en évidence un point brillant sur la carte du système, à quelques millions de kilomètres du Phare. Isabeau grimaça. Le Vol de Nuit aurait dû se trouver en espace profond, à quelques heures-lumière de l’étoile à neutrons et doté d’une faible vélocité relative ; mais il se mouvait à plusieurs centaines de kilomètres par seconde, sur une trajectoire qui l’amenait directement dans la zone d’exclusion radiative du Phare.

« Bulle, est-ce que tu peux contacter le Vol de Nuit ? demanda Tali.

— Déjà essayé, je n’ai de réponse ni sur le laser-com, ni sur la radio.

— Pas même un message préenregistré ?

— Non. Peut-être que le Vol de Nuit a subi une panne de son moteur à fusion ? Cela expliquerait qu’il ne puisse décélérer. »

Isaac-Isabeau consulta la fiche technique du long-courrier sur son écran secondaire.

« Il transporte une voile électromagnétique de secours dans la section de proue, donc normalement, il peut décélérer même si le moteur principal est en rade.

— Et dans le cas où la voile ne serait pas suffisante, le pilote automatique est programmé pour effectuer une translation d’évitement, ajouta Tali. Donc, soit le translateur est lui aussi neutralisé, soit le pilote automatique est hors service.

— Le silence radio suggère l’option numéro deux… Bulle, on a combien de temps avant que le Vol de Nuit devienne impossible à rattraper ?

— Deux heures, environ. Une fois passé à moins d’un million de kilomètres du Phare, les émissions X et gamma seront trop intenses pour permettre au Courrier Sept de nous protéger.

— Is, est-ce que tu penses qu’on peut récupérer le courrier ? »

Bien sûr, se dit Isaac-Isabeau, la question était en partie rhétorique. Tali disposait des mêmes informations qu’iel, et avait sans doute déjà un plan en tête. Le Courrier Sept pouvait se translater à proximité du Vol de Nuit, mais l’écart de vélocité relative réduirait la durée de leur rencontre à une poignée de secondes, ce qui était largement insuffisant pour récupérer les conteneurs postaux… qui de toute manière se mouvaient à la vitesse d’un missile. Le Courrier Sept devait donc parvenir à la même vélocité que le Vol de Nuit avant de translater, mais il ne disposait pas du delta-v nécessaire, à moins d’ajouter au moteur Lazward la poussée de la fusée atmosphérique. Dans ce cas-là, et en vidant les réservoirs de masse de réaction jusqu’à la marge de secours pour revenir sur Eau-de-Pluie, iels pourraient atteindre une portion non négligeable de la vélocité du Vol de Nuit. Ce ne serait pas suffisant pour s’amarrer, mais peut-être assez pour récupérer le courrier.

« En poussée bimodale, ça passe, dit Isaac-Isabeau. Mais nous opérerons très près de l’étoile à neutrons. Juste à la limite de la zone d’exclusion de son champ magnétique, en fait. Notre électronique souffrira.

— Tu es certaine de vouloir y aller ? Ce ne sont que des lettres, ajouta Bulle.

— Et nous sommes l’Astropostale, rétorqua Tali.

— Notre fiche de poste n’implique pas de rattraper des bâtiments fous.

— Le Vol de Nuit a passé trois mois en espace profond. Chacune de ses lettres a été reconsidérée, pesée, réécrite pour optimiser sa masse au milligramme, de sorte à ce que le vaisseau puisse en transporter autant que possible. Là-dedans, il y a des lettres d’amour, des lettres de regret, des lettres d’espoir, des lettres ennuyeuses, des lettres extraordinaires, des lettres essentielles. Certaines même, une sur dix peut-être, changeront la vie de leur récipiendaire. On ne peut pas rester sans rien faire alors que ces missives courent à leur ruine. La Maîtresse de Poste nous a demandé de réceptionner le Vol de Nuit, et c’est exactement ce que nous allons faire.

— J’entends l’argument, dit Bulle. Je ne suis pas sûre de l’approuver, mais je l’entends. »

Isaac-Isabeau opina.

« Bien, dit Tali. Voilà ce que je propose : une heure de poussée bimodale pour nous aligner sur la vélocité relative du Vol de Nuit, puis une translation à cent kilomètres du long-courrier. De là, nous l’examinerons de plus près et déterminerons si nous pouvons transférer le courrier. Je demande un go-no go.

— Go, dit Isaac-Isabeau.

— No-go, ajouta Bulle. Mais je ne pose pas de veto.

— Donc, nous pouvons y aller ?

— Oui. »

Tali et Isaac-Isabeau attachèrent leurs harnais. Lae pilote synchronisa les moteurs et bascula la commande de poussée. Le moteur Lazward se mit à dévorer ses batteries pour chauffer sa masse de réaction hydrogénée, puis la cloche bleue des tuyères fut déchirée par une lame blanche lors du déclenchement de la fusée à azote métastable. L’accélération poussa délicatement Isaac-Isabeau contre son siège, tandis que sa combinaison de vol gonflait les poches disposées le long de ses jambes pour maintenir son sang à la tête. Tali souffla et prit sa main. La monade d’Isaac-Isabeau — une petite glande artificielle implantée à la base de son cou — libéra calmants et myorelaxants dans son système sanguin. Le temps alors se condensa au bout du fer de lance qu’était devenu le Courrier Sept. Au bout d’une heure de poussée continue, le réservoir d’hydrogène du Courrier Sept était à demi entamé, celui d’azote aux deux tiers vide, et le tiers des batteries avait nourri la mâchoire à micro-ondes du moteur Lazward. Isaac-Isabeau coupa la propulsion et Tali déclencha la translation.


Désintégration.
Une seconde coupée en deux, ses entrailles exhibées sur le tranchant de la Voie lactée. Quelque part, en un temps inconnu, Isaac-Isabeau marche sur le rivage d’une mer asséchée.
Réintégration.


Les caméras eurent besoin d’un battement de cœur pour compenser l’irruption du Phare devant le cockpit. Une vague nausée s’empara de l’estomac d’Isaac-Isabeau, qui ordonna à sa monade d’augmenter les doses de calmants.

« J’ai récupéré le Vol de Nuit sur la mire, il est à mille kilomètres ! » annonça Bulle.

Elle envoya l’image du long-courrier sur l’écran d’Isaac-Isabeau. Le Vol de Nuit mesurait cent mètres de long ; Isaac-Isabeau le détailla à l’instinct, distinguant sans véritablement y penser la chandelle à fusion de poupe, la plaque de glace servant de bouclier au centre, l’échafaudage retenant les conteneurs de courrier, les réservoirs d’hydrogène et, tout à la proue, le module du pilote automatique. Iel avait du mal à identifier une avarie évidente. Le moteur à fusion était encore bien contenu dans sa cuve, les dissipateurs thermiques froids et arrimés à la coque, les réservoirs d’hydrogène à demi remplis… la réponse à l’énigme de la course folle du Vol de Nuit apparut finalement sur la mire infrarouge. La faible lumière des autres étoiles du halo galactique filtrait à travers toute la superstructure, qui pourtant aurait dû se composer de plaques de métal et de céramique contigües.

« Ce sont des impacts, non ? demanda-t-iel à Bulle.

— Oui. Petit calibre et dispersés de manière égale à travers le vaisseau, le pauvre s’est pris un essaim de poussières interstellaires de plein fouet. Une chance sur un milliard, et c’était pour lui. Ne bouge pas, je fais tourner une simulation… le Vol de Nuit ne possède pas de blindage réactif, donc le pilote automatique a été annihilé, les dissipateurs thermiques se sont vidés de leur fluide caloporteur, et la contention du réacteur nucléaire doit tenir par l’action de Saint Joseph de Cupertino. Je serais surprise de trouver un seul propulseur de manœuvre en état de marche.

— On a toujours pas de contact ?

— Je vois une antenne intacte en section médiane, je tente de transmettre nos codes d’Astropostale.

— Tu penses pouvoir prendre le contrôle du Vol de Nuit ?

— De ce qu’il en reste, peut-être. »

Le laser-com s’anima. Bulle projeta le schéma technique du long-courrier, mettant en évidence les sous-systèmes auxquels elle venait d’accéder : la baie à courrier et le moteur à fusion. Le reste était déconnecté.

« Bon, les amarres à conteneurs marchent encore, donc je pourrais éjecter celui qui contient le courrier, mais l’écart de vélocité est toujours de cinq kilomètres par seconde. C’est trop dangereux. Le conteneur nous transpercerait comme un missile en s’approchant. On peut accélérer un peu plus ?

— Pas si on veut garder une marge de sécurité pour revenir sur Eau-de-Pluie, dit Tali. Je suis à l’extrême limite de nos réserves. On n’ira pas plus vite. Désolée.

— On a du courrier numérique ?

— Quelques gigaoctets de messages audio et vidéo, je suis en train de les télécharger, mais ça ne règle pas le souci des lettres.

— Est-ce que tu peux mettre à feu le moteur nucléaire ? Si le Vol de Nuit accélère sur un vecteur opposé au nôtre, on aura les cinq kilomètres par seconde qui nous manquent.

— Tal, les radiateurs sont morts et cette chandelle émet plusieurs térajoules de chaleur résiduelle, même en poussée minimale. On va faire fondre le Vol de Nuit si on lui demande ça. »

Une alarme scintilla sur les panneaux de réalité augmentée, indiquant que les aimants d’amarrage du Courrier Sept commençaient à faiblir sous la puissance du champ magnétique de l’étoile à neutrons. Bientôt, la coque ne protégerait plus les pilotes du flux de radiations. Isaac-Isabeau soupira.

« Quoi qu’il advienne, le Vol de Nuit est perdu. Je vais déplacer le Courrier Sept hors de la zone d’exclusion de la chandelle, puis on déclenche la poussée. »

Les propulseurs de manœuvre strièrent l’espace d’azote. Le Courrier Sept bondit sur le côté.

« C’est fait. On est à l’abri.

— Je suis prête, approuva Bulle. Mais je me sens mal à l’idée de tuer un vaisseau.

— Pas le choix. »

Isaac-Isabeau pouvait sans peine se figurer les minutes à venir. Tout au fond de la poupe du Vol de Nuit, la structure ravagée de la chandelle à fusion reviendrait à la vie. Une paire d’engrenages irait éjecter une capsule de deutérium et de tritium, pas plus grosse qu’un grain de raisin, qu’un laser porterait à son point de fusion. La chaleur ainsi libérée irait vaporiser de l’hydrogène liquide pour produire une poussée ; le reste se transformerait en une tempête de neutrons. En l’absence de radiateurs, le Vol de Nuit deviendrait son propre dissipateur thermique, et en mourrait presque aussitôt.

« Feu ! » dit Bulle.

Une vague écarlate traversa le schéma technique, faisant fondre les câbles, détruisant les rivets, ouvrant les soudures et tordant la coque. La chandelle rugit.

« Poussée médiane sur le Vol de Nuit, nous sommes tombés à un écart de cent mètres par seconde, mais je suis en train de perdre la chandelle !

— Coupe le moteur et éjecte le courrier ! » s’exclama Tali.

Au moment où Bulle s’exécuta, la superstructure du Vol de Nuit la trahit.

« J’ai perdu tout contrôle sur la chandelle, les circuits se sont évaporés, mais je crois que le conteneur a eu le temps de se séparer, est-ce quelqu’un le voit sur le radar ? »

La fin du Vol de Nuit fut rapide. La chambre à fusion, incapable de dompter le plasma surchauffé plus longtemps, fondit et s’effondra sur elle-même, puis une sphère de gaz en expansion dévora le long-courrier. Il lui fallut trois battements de cœur pour se transformer en une étoile contenue sur l’ancien linéaire de la coque. Ensuite vinrent le noir et le silence.

« Je vois le conteneur ! Il a survécu à l’éjection ! » s’anima Bulle. Survivre était peut-être un verbe un peu ambitieux, pensa Isaac-Isabeau en dirigeant la mire vers un parallélépipède biseauté, troué à un angle, qui dérivait à soixante-dix mètres par seconde en avant du Courrier Sept. Iel pourrait sans mal le récupérer, oui, mais quid des lettres peut-être déjà perdues dans l’espace ? Combien de temps l’encre d’une ligne manuscrite pouvait-elle résister aux assauts du vide ?

« Je vais réduire le delta de vélocité et m’approcher, dit-iel. Tali, est-ce que tu pourrais ouvrir la baie de chargement ventrale ? J’espère que nos jinns seront capables de… »

Le Courrier Sept trembla. Une alarme sanguine brilla sur les écrans, suivie d’un code d’erreur : 005 RUPTURE DE COQUE.

« Débris ! annonça Tali en passant son masque à oxygène, bien que la fuite ne soit pas originaire du cockpit. J’ai une perte d’atmosphère dans le compartiment-cuisine et une armoire électrique hors service !

— Je vais voir ça ! Pilote hors du cockpit ! »

Isaac-Isabeau défit son harnais, pressurisa sa combinaison de vol et descendit vers la section médiane. Iel rencontra d’abord sa collection de cactus, qui dérivait lentement à travers la cuisine, suivant le filet d’air qui s’évacuait dans le vide à travers un orifice dans la coque, de la taille d’un poing. Les débris avaient traversé l’armure ablative avec une facilité déconcertante, pulvérisant une armoire électrique au passage. Isaac-Isabeau referma le trou avec la bouteille de gel auto-expansif qu’iel gardait toujours à la ceinture, puis chercha le point de sortie du projectile improvisé. Là ! Il s’était logé dans la cocotte-minute de Tali. La précieuse machine avait été oblitérée ; elle gisait en une myriade de morceaux, dispersés comme les débris d’un système planétaire après une nova. Le responsable s’était logé dans le chauffe-eau. Isaac-Isabeau parvint à le récupérer. Il s’agissait d’un ressort en nanotubes de carbone, sans doute issu du moteur à fusion.

« Pilote pour navigatrice dit-iel sur le réseau local. Un débris nous a heurtés, j’ai scellé l’orifice d’entrée. Une chance…

— Sur un milliard, oui.

— Ta cocotte-minute a écopé du choc.

— Ma…oh non. Elle est comment ?

— Présentement en trente-sept morceaux, plus ou moins cinq.

— Elle venait des Pléiades !

— Paix à son âme. Et paix à celle de notre coque… je remonte. On récupère le conteneur, et on rentre. »


Six heures plus tard, Isaac-Isabeau tenta d’atterrir dans le silo D24 d’Eau-de-Pluie ; l’amarre latérale, démagnétisée par l’étoile à neutrons, échoua à établir le contact avec son homologue mural et le Courrier Sept percuta la paroi, arrachant son antenne à ondes courtes et déclenchant l’intervention de la grue de maintenance, qui parvint à l’attraper par la proue et à le maintenir en place. Un cri traversa la radio.

« Barbares ! » Il s’agissait d’Artémis. Perchée sur le rebord du sas, elle contemplait le Courrier Sept avec une angoisse palpable. « Vous partez pour une récupération de long-courrier et vous revenez avec un trou dans votre coque et une amarre en rade ! Qu’est-ce que vous avez fait à mon vaisseau ? Maniaques ! Philistins ! Le Courrier Sept est un messager, pas un intercepteur ! Si vous voulez flirter avec une étoile à neutrons, commandez une Luciole sur la Lune !

— Je ne pense pas qu’une Luciole se serait beaucoup mieux débrouillée, répondit Isaac-Isabeau, qui était familièr·e des agiles machines militaires du système solaire. Elle est remplie d’électronique, alors une étoile à neutrons aurait tout cramé, et le fuselage est dépourvu de blindage, de manière à ce que les impacteurs sur-pénètrent au lieu d’éclater dans la coque. Il n’y a que le cockpit qui aurait pu arrêter un tel impact.

— Je sais pas et je m’en fous, je n’ai jamais travaillé sur un engin de guerre ! Maintenant, dégagez ! Je dois travailler en paix ! Ouste ! »

Isaac-Isabeau regarda le plafond.

« Nous sommes d’accord que la responsabilité est partagée, n’est-ce pas ?

— J’ai le registre, répondit Bulle. Et je sais qui a dit no-go. »


Depuis son bureau, la Maîtresse de Poste surveillait les entrailles de son dépôt ; par les fenêtres entrait le crépuscule étouffé du tube solaire d’Eau-de-Pluie. Elle avait suspendu le conteneur du Vol de Nuit à une grue mobile et, comme il lui était impossible de l’ouvrir par des moyens conventionnels, l’avait découpé au laser, laissant ainsi tomber une marée de lettres et de colis sur son parquet. Isaac-Isabeau et Talasea étaient de corvée de triage : tâche ingrate au possible, car les adresses étaient écrites en des dizaines de langues, les soigneux arrangements de l’Astropostale complètement éparpillés par le choc de l’éjection, et les timbres à demi effacés par l’exposition aux radiations du Phare. Les missives provenaient des quatre coins de l’espace humain — bon témoin de la diversité des habitants des Cinq Soleils et des expéditions successives qui avaient fondé l’île dans le ciel — et, bon an mal an, Isaac-Isabeau était parvenu à mettre sur pied une solide pile de courriers à destination de Silène et Outrenoir. Tali, qui s’occupait de Kollontai et Eau-de-Pluie, avait un peu plus de mal, car le volume était plus important et la multiplicitédes récipiendaires — particuliers, institutions de planification économique, et jusqu’à deux ou trois arbres qu’on soupçonnait d’être conscients — était telle qu’elle ne pouvait se contenter de survoler les adresses et d’empiler, sous peine de souffrir à la distribution.

La Maîtresse de Poste avait laissé une lettre orpheline sur le bureau. Son timbre vibra et l’encre électronique, jusque-là occupée à figurer les plumes délicates d’un geai terrien, coagula pour former un avatar aviaire. La Maîtresse de Poste sourit.

« Hé. Comment allez-vous, Bulle ?

— Artémis a passé l’après-midi à me crier dessus. Je lui ai dit de regarder les registres, je n’ai pas approuvé la manœuvre de Tali et Isa ! Mais elle ne m’a pas écouté. Je crois qu’elle morigène encore. J’ai coupé mes écouteurs.

— Artémis est une excellente mécanicienne, et il est vrai que vous avez été des plus imprudents. Vous savez à quoi notre Sélénite passe son temps ? Elle supervise les drones qui construisent nos diligences spatiales. Et vous savez ce que fait l’habitant d’Eau-de-Pluie moyen quand sa diligence tombe en panne ? Iel récupère le moteur Lazward et le module de pilotage, puis balance le reste dans les anneaux de Typhon. Je ne vais certainement pas le blâmer. Les diligences sont moins des vaisseaux que des consommables, ici il suffit de se pencher pour ramasser de la glace d’eau. Mais la conséquence de l’utilisation des diligences est que nos camarades ont oublié les subtilités d’un vrai vbâtiment Pourquoi s’embêter à effectuer des entretiens réguliers, puisque qu'il n'y a qu'à ramener l’épave à Artémis pour repartir avec une nouvelle machine dans la journée ? Alors je pense que, quand vous êtes arrivés, elle s’est dit, ça y est, j’ai enfin des vrais pilotes dans mon hangar, des gens qui, comme les spationautes du Courrier Cinq, considèrent leur vaisseau comme leur maison, et pas juste comme un sac de pièces détachées volant en formation ! Et là, paf. Deuxième sortie, vous démagnétisez l’amarre, éclatez l’antenne et faites un trou dans votre coque.

— J’ai dit no-go !

— Mais vous n’avez pas opposé votre veto, donc c’était purement performatif. Ah, ne jouez pas avec les mots, ça m’agace très vite ! Je suis une créature carrée, qui n’aime pas qu’on l’enfume, ne l’oubliez pas si vous voulez que je vous garde. » Elle secoua l’enveloppe où résidait Bulle, dont l’avatar s’accrocha aux bords du timbre avec ses pattes. « Maintenant, vous deux, là ! »

Tali et Isaac-Isabeau levèrent la tête. La Maîtresse de Poste traversa les piles de lettres et s’installa sur un tabouret.

« Outre les gesticulations de Bulle, les registres du Courrier Sept sont très instructifs. Nonobstant les dégâts à l’arrivée, vous vous êtes très bien comportés. Trop bien, à mes yeux. La manœuvre de rattrapage du Vol de Nuit était rapide, très bien pensée, vous ne vous êtes pas mis inutilement en danger, et si la chandelle à fusion avait tenu un peu plus longtemps, vous n’auriez même pas subi d’impact. Je vois bien à la succession des commandes envoyées au Courrier Sept que vous avez une grande expérience de ce genre d’opérations. Ma question est donc très simple : qui êtes-vous, en fait ? Je sais très bien ce que valent les Cinq Soleils aux yeux d’un bureaucrate dans son joli immeuble de l’Astropostale, quelque part sur Terre ou sur Mars, c’est-à-dire, rien. Pourtant, vous venez de me prouver qu’on m’a envoyé une équipe d’élite. Ce n’est pas un compliment en l’air, juste ce que m’inspirent vos actions dans ce cockpit. Qu’est-ce que vous faites ici ? »

Isaac-Isabeau se tourna vers Tali, qui agita la main avec un geste agacé, comme si elle tentait de se débarrasser d’un insecte pris dans ses cheveux.

« Disons simplement que l’Astropostale nous a envoyés nous mettre au vert, dit-elle.

— Je vais avoir besoin d’une meilleure explication.

— Bon. » Bulle soupira en se projetant sur une vitre du hangar. Elle s’assit sur le tube solaire avant de continuer. « Il y a six mois, nous volions sur un messager de l’Astropostale assigné à une Guerre Fleurie sur Smyrnia-Silesia. Nous étions chargés de transporter les avis des arbitres entre les belligérants, c’était à dire, d’un côté, la Méta-Reine de Smyrnia, et, de l’autre, les Recycleurs de Solovyova. C’était une petite affaire, les deux communes se tapaient dessus pour la propriété d’un astéroïde riche en platine. En fait, l’histoire avait déjà été réglée en amont par diplomates interposés : la Méta-Reine avait droit à un tiers du minerai, Solovyova aux deux autres tiers. La Guerre Fleurie devait juste servir à sauver la face. La Méta-Reine devait gagner de quelques points, rien de spectaculaire, mais assez pour que ses partisans estiment s’en sortir avec les honneurs. C’était très performatif.

— Oui, je sais comment marchent les Guerres Fleuries. Et donc ? Solovyova n’a pas tenu ses engagements ?

— La morale d’une corsaire est au mieux changeante, mais non ! Elle a tenu promesse, en demandant à ses équipages de saboter leurs duels avec les cataphractes de la Méta-Reine. Le problème, c’est que les mercenaires recrutés par Solovyova, eux, n’étaient pas tous au courant. Et l’Astropostale non plus ! Donc, on se retrouve avec Tali et Isa à voler dans une Caravelle-Courrier, juste à la fin de la Guerre Fleurie, et la Méta-Reine mène de dix points. Il reste deux heures, et jusque-là, tout va bien. Sauf qu’à vingt-huit heures et demie, les pilotes du mécha Soldats en Rouge rentrent bille en tête contre Le Chat du Toit.

— Oh, ces noms me disent quelque chose. Ces deux méchas ont participé aux Olympiades Fleuries de 78 sur la Lune, non ?

— Exact ! Soldats en Rouge roulait pour Solovyova, et Le Chat du Toit pour sa majesté. Les équipages ne s’appréciaient pas…

— Peu étonnant après leur match dans la Mare Tranquilitatis.

— Et donc les deux s’affrontent, comme ça, sans prévenir ! L’affaire commence au canon, puis à la lance, puis au couteau. La nuit a été très froide, donc la plaine est recouverte de glace. Le Chat du Toit glisse et tombe. Soldats en Rouge l’empale avec sa dague. L’équipage évacue. Les arbitres arrêtent le combat. Terminé, un mécha éliminé, six points pour Solovyova. Mais nous, là, on voit rien de tout ça, parce qu’on est en train de transporter du courrier vers l’orbite basse… et on se prend un missile. Je ne sais pas qui a fini par nous tirer dessus. Les arbitres disent que c’était Cigares sur la Plage, un mécha d’artillerie roulant pour la Méta-Reine, mais en vrai, il y avait sept unités sol-orbite sur la calotte polaire et ça aurait pu être n’importe qui, mais c’est plus simple de blâmer les mercenaires. Isa et Tali démarrent notre module de guerre électronique, qui prend le contrôle du missile et, sans nous demander notre avis, le renvoie vers l’expéditeur. Le missile passe au travers de la défense aérienne, qui ne vaut plus grand-chose après vingt heures de match, et touche un drone d’artillerie légère. La Méta-Reine dit que ça ne compte pas, comme on est une tierce partie neutre, mais les arbitres estiment que l’incident peut être qualifié comme un tir allié, puisque les mercenaires se sont reçu leur propre munition. La pénalité est de cinq points, faites le calcul, on a donné la victoire à Solovyova.

— Et la Méta-Reine a perdu la face.

— Voilà. Bien que nous n’ayons rien fait de mal, l’Astropostale a jugé bon que nous prenions un intérim dans un coin perdu de la Voie lactée, le temps que l’affaire se tasse.

— J’ai donc affaire à des pilotes de chasse.

— C’est faire un peu trop d’honneur à notre trio, mais de manière tout à fait accidentelle, oui. »

La Maîtresse de Poste descendit de son perchoir, inspecta les piles de courrier, sembla satisfaite et revint sur son bureau.

« Je vous garde. Pour deux raisons uniquement : un, je vous trouve très touchants. Et deux, j’ai vraiment besoin de postiers. Allez, rentrez dans vos pénates, troquez vos combinaisons pour des habits un peu plus seyants, demain vous êtes de tournée, vous devez faire bonne impression. » Elle agita la main ; Isaac-Isabeau se leva, Tali lae rejoignit et lui donna un léger coup de coude accompagné d’un sourire, qui s’évanouit rapidement quand leur parvint la dernière remarque de la Maîtresse de Poste :

« Et surtout, ne finissez pas comme l’équipage du Courrier Cinq. Le deuil ne me va pas au teint. »

Illustration de l'épisode : artiste anonyme pour la NASA, 2006, domaine public

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